Qu’est que la RÉMUNÉRATION des stages?

Pour répondre à cette question, nous devons tout d’abord revenir sur quelque chose qui peut paraître évident : qu’est-ce qu’un salaire ? Le salaire est une somme versée en contrepartie d’un travail effectué. Comment le montant du salaire (et du salaire minimum) est-il calculé ? En fonction du coût de la vie : ce n’est pas la « valeur » de ce que nous produisons qui détermine notre salaire, mais plutôt notre salaire qui détermine (en partie) le prix (ou la valeur marchande) de ce qui est vendu.

Qu’est-ce qu’un prix ? C’est le montant qui est exigé par une entreprise pour couvrir tous les coûts, les taxes et les profits attendus lors d’une vente. Parmi les coûts, il y a non seulement les outils, les ressources et les salaires qui entrent dans la production, mais aussi le coût de reproduction de la main-d’œuvre, ce qui inclut les coûts de sa formation. Les taxes et impôts sont récupérées par les différents paliers de gouvernement afin d’assurer la reproduction de tout ce qui est nécessaire pour maintenir l’État, son infrastructure et la main-d’œuvre des secteurs privés, publics et communautaires. Enfin, les profits sont collectés par les propriétaires, non parce qu’il·le·s ont travaillé pour, mais précisément parce que leur accorde ce droit : il n’y a pas de leur travail là-dedans, seulement celui des travailleur·euse·s !

Ainsi, pour qu’il puisse y avoir des profits, il faut qu’il y ait du travail qui ne soit pas rémunéré à sa juste valeur. Qu’est-ce qui arrive lorsque ces profits sont menacés ? Pour éviter de perdre des ventes, les gestionnaires évitent de hausser les prix, donc il·le·s coupent les salaires ou les avantages sociaux. Les travailleur·euse·s doivent alors vivre (et travailler !) avec moins en effectuant leurs propres coupures. La contradiction inhérente à cette dynamique ? En gagnant moins d’argent, il·le·s achètent moins, et les profits sont menacés à nouveau ! De leur côté, les entreprises qui accordent des salaires élevés à leurs employé·e·s le font habituellement parce qu’elles font face à un syndicat digne de ce nom. Dans tous les cas, après l’embauche, des sommes considérables sont dépensées pour assurer que chaque employé·e soit bien formé·e pour son travail, avant même qu’il·le soit « productif·ve ».

Qu’est-ce qu’un stage?

Les stages servent à l’observation ou à l’exploration d’un métier, sinon au développement ou à la mise en œuvre des compétences. Un stage peut ainsi prendre plusieurs formes, mais dans tous les cas, il s’agit d’une manière de préparer un·e futur·e employé·e pour son boulot. Il peut même impliquer la réalisation d’un travail identique à celui d’un·e salarié·e.

Qu’est-ce que la rémunération des stages?

C’est l’obtention d’un salaire pour ce qui est, après tout, du travail : la formation n’est pas quelque chose qui est reçu passivement, mais quelque chose qui exige des efforts et, surtout, du temps. Dans le contexte actuel, les emplois deviennent toujours plus spécialisés et exigent donc davantage de formation. Or, dans plusieurs domaines, les stages sont déjà rémunérés.

Les stages non rémunérés se trouvent en plus grand nombre dans le secteur des soins et de l’éducation (des emplois majoritairement occupés par des femmes). Lorsque nous tolérons la non-rémunération de ces stages, nous contribuons à la dévalorisation de ces formes de travail pourtant indispensables à notre bien-être collectif.

Les stages non rémunérés forment la partie la plus visible de l’exploitation des étudiant·e·s. peu importe que les stagiaires contribuent ou non au travail productif : dans tous les cas, le stage n’est pas un simple passe-temps, mais un travail nécessaire à la reproduction de la main-d’œuvre et de toutes ses spécialisations. La rémunération des stages n’est pas un luxe ou un cadeau donné aux étudiant·e·s : c’est l’élimination d’un travail gratuit, d’un cadeau donné aux entreprises et à l’État.

ARGUMENTAIRE

Les stages et le marché de l’emploi

L’explosion des stages est associée à un contexte économique particulier marqué par la détérioration des conditions d’emploi et par l’accroissement de la compétitivité du monde du travail, en particulier pour les jeunes.

La crise de 2008, qui a eu comme conséquences d’intensifier la précarisation de l’emploi, de réduire les exigences salariales, de développer les horaires flexibles et atypiques, et de banaliser le travail sous-payé (voire gratuit) et le statut de « travailleur jetable », a notamment conduit à la fermeture du marché du travail pour la nouvelle génération. Dans ce contexte, les stages sont apparus comme la solution pour mettre un terme au sous-emploi des jeunes. La réalité est plus complexe : en devenant un passage obligé vers le premier emploi, les stages retardent l’entrée des nouveaux diplômés sur le marché du travail et renforcent leur précarité.

De plus, les stages non rémunérés créent du cheap labor parce-que certain.e.s employeurs.euses n’hésitent pas à remplacer leurs employé.e.s par des stagiaires pour réduire leurs coûts. S’il est difficile de trouver des chiffres illustrant cette tendance, en France, l’économiste Jean-Marie Chevalier estime qu’au moins 60 000 stages correspondent à des emplois à temps plein. Cette pratique, hautement problématique, contribue au sous-emploi et à la précarisation de l’ensemble des travailleurs et travailleuses. Effectivement, si un.e employeur.euse a accès à une main-d’œuvre gratuite, pourquoi payer un.e employé.e pour faire le même travail?

Impacts des stages non rémunérés sur les étudiant.e.s
L’analyse d’un sondage réalisé en 2017 par le Comité pour la rémunération des stages et des internats de l’Université du Québec en Outaouais (CRIS-UQO), dévoile que les stages non rémunérés ont des impacts négatifs sur les étudiant.e.s. Particulièrement chronophages, les stages grignotent tout d’abord l’emploi du temps étudiant. Or, la majorité des étudiant.e.s occupent un emploi à temps partiel en plus de leurs études. Pour celles et ceux qui n’ont pas la possibilité de réduire leurs heures ou d’arrêter de travailler pendant le stage, la situation devient donc vite ingérable. Pourtant seulement la moitié des répondant.e.s du sondage du CRIS-UQO estiment que leur employeur ou employeuse est prêt.e à les accommoder pendant la durée de leur stage. En outre, il faut bien voir que, quand il y a réduction des heures de travail, il y a également réduction du revenu étudiant, déjà très serré en temps normal. C’est d’autant plus problématique que, pour la majorité des stagiaires, le stage implique des dépenses supplémentaires (transport, achat de vêtements et d’uniformes, location d’un second logement ou même d’un bureau professionnel). Pour compenser les pertes subies et l’accroissement de leurs dépenses, les plus chanceux.euses peuvent solliciter le filet familial. Pour les autres, il faudra s’endetter ou piocher dans ses économies. En outre, la surcharge de travail occasionnée par les stages non rémunérés provoque une forte pression, qui a de nombreux impacts sur la santé des étudiant.e.s. 20% des répondant.e.s du sondage du CRIS-UQO ressentent ainsi une surcharge de travail et une difficulté à concilier emploi, stage, études et vie personnelle. La même proportion se dit fatigué.e.s ou en manque de sommeil. Plus grave, 42% des répondant.e.s confient avoir vécu du stress, de l’anxiété, de l’angoisse, de l’isolement et de la détresse psychologique pendant leur stage. En outre, certain.e.s peuvent vivre de la violence ou du harcèlement. Des études américaines révèlent ainsi que les stagiaires, notamment les femmes, sont plus touché.e.s par le harcèlement que les autres travailleurs.euses. Or, légalement, le stage n’offre aucune protection au ou à la stagiaire. En effet, les personnes qui effectuent un stage associé à un cursus universitaire ne sont pas considérées comme des salariées au Québec. Exclu.e.s de la Loi sur les normes du travail, ces stagiaires ne bénéficient pas des protections offertes en cas de manquement de la part de leur employeur.euse, de congédiement abusif, ou de harcèlement. Ils et elles sont de même tenu.e.s à l’écart des protections sociales rattachées à la perception d’un revenu d’emploi (Régime québécois d’assurance parentale, Régime d’assurance-emploi, etc.). Il va de soi qu’une telle situation complique les possibilités de recours en cas de violence ou d’abus. Bref, la situation des stagiaires non rémunéré.e.s est inadmissible. Pression financière, endettement, fatigue, impossible conciliation travail-stage-études-vie privée, stress, détresse psychologique, à des degrés variables, constituent la réalité de la majorité d’entre eux et elles.
Stages non rémunérés et désinvestissement étatique
Conscient de la précarité des stagiaires, l’état québécois engage chaque année des sommes considérables en vue d’assurer la réalisation de stages assortis d’une rémunération ou d’une compensation financière dans la fonction publique, dans les sociétés d’État, dans le secteur parapublic et dans le secteur privé. Trois mesures annoncées dans le cadre de la Stratégie nationale de la main-d’œuvre 2018-2022 représentent ainsi de nouveaux investissements estimés à 99,3M$ sur cinq ans (MTESS 2018). À ces sommes s’ajoute une série d’investissements annuels estimés à 116,4M$. L’examen de différentes données gouvernementales révèle cependant l’existence d’un fossé entre le soutien octroyé aux stages de la fonction publique et du secteur privé. En effet, si les stages rémunérés réalisés en entreprise font partie intégrante de la stratégie de développement économique de l’État, un tel plan n’a pas d’équivalent au sein des différents réseaux de l’État. Les stages de la fonction publique connaissent un développement erratique depuis le début des années 2000, affichant même une tendance à la baisse depuis le début de la présente décennie. Une logique du cas par cas prévaut autrement dans le secteur parapublic. L’octroi récent de compensations financières aux stagiaires de programmes spécifiques (psychologie et éducation) est ainsi intervenu en l’absence d’une réflexion de fond sur les conditions de réalisation des stages d’autres domaines. En outre, ces compensations, octroyées sous forme de bourses, ne rétribuent pas à leur juste valeur le travail effectué par les stagiaires, d’autant plus que ce statut de boursiers et boursières prive encore les étudiant.e.s des protections minimales offertes par la Loi sur les normes du travail. Enfin, ce statut détonne avec celui de salarié offert aux stagiaires des sociétés d’État (Hydro-Québec) et des stagiaires embauché.e.s dans les entreprises bénéficiaires du crédit d’impôt pour stage en milieu de travail. En bref, on s’aperçoit que, s’agissant de la rémunération des stages, le secteur privé est favorisé au détriment des autres secteurs. La rémunération des stages témoigne donc du désengagement de l’État et son abandon des secteurs publics, parapublics et communautaires.
Stages non rémunérés et reproduction des inégalités sociales
Les stages non rémunérés accroissent la dépendance des étudiant.e.s envers leurs proches. En cela, ils se révèlent discriminatoires. Plusieurs recherches montrent ainsi que le filet familial constitue une condition facilitante, voire nécessaire à la réalisation de stages non rémunérés. Les stages des formations les plus prestigieuses, et dotés d’une plus forte employabilité, opèrent un tri des étudiant.e.s en fonction de leurs capacités et de leurs origines socio-économiques. Les étudiant.e.s provenant de milieux défavorisés sont donc souvent exclu.e.s, de facto, de certaines formations. De la sorte, les stages non rémunérés agissent comme des barrières et des outils de stratification sociale. Ils perpétuent également les inégalités sociales existantes. De plus, les stages non rémunérés, qui touchent davantage les femmes, reproduisent les iniquités entre les genres. Ainsi, une étude menée sur la population étudiante de l’Université de Sherbrooke (UdeS) dévoile que 80,2% des femmes effectuent des stages non rémunérés. Chez les hommes, la proportion est nettement inférieure puisque 53,4% d’entre eux réalisent des stages non rémunérés. En outre, lorsque les femmes reçoivent une rémunération, elle est bien souvent inférieure à celle de leurs collègues masculins. Enfin, les secteurs masculins sont ceux où l’on trouve le plus de stages rémunérés, au détriment des secteurs féminins. De la sorte, à l’UdeS, la quasi-totalité des stagiaires des secteurs de la gestion et du génie, où les hommes sont majoritaires, reçoit une rémunération. Plusieurs études, menées en Europe et aux États-Unis arrivent aux mêmes conclusions. Pourquoi? Il semble que les inégalités de traitement entre les étudiants et les étudiantes stagiaires soient reliées à un processus historique long et complexe de cantonnement des femmes à des rôles soi-disant « naturels » de mère et de ménagère. La dévalorisation et la ghettoïsation des métiers féminins, qui aboutissent à la non-rémunération des stages des secteurs féminins du care, sont les conséquences de la division sexuelle du travail et du sexisme institutionnalisé.